Protection de l’enfance en péril : Quand la justice faillit à sa mission

L’association La Voix des Survivant(e)s (LVDS) tient à tirer la sonnette d’alarme par rapport aux informations qui ont été portées à sa connaissance via l’interview du procureur adjoint David Lentz à la radio 100,7 en date du 3 juin 2025, suivie de ses propos publiés le 5 juin dans le Luxemburger Wort. LVDS estime que les propos tenus publiquement par monsieur Lentz remettent en cause les fondements mêmes de la protection de l’enfance.

Dans le Luxemburger Wort, celui-ci déclare en effet : « Je ne comprends pas pourquoi certaines personnes exigent maintenant avec autant de force que la justice intervienne et que l’enfant soit retiré de la famille. […] Cela reviendrait à punir à nouveau l’enfant, à le retraumatiser – je ne peux pas comprendre cela. »

Ce discours risque non seulement de décourager les victimes et leurs proches de signaler des situations de danger, mais aussi de conforter les agresseurs dans l’idée qu’ils ne seront pas inquiétés par la justice. Protéger un enfant, ce n’est pas le punir : c’est un devoir impérieux de la société et des institutions. Refuser d’agir sous prétexte d’éviter une « retraumatisation », c’est exposer l’enfant à un danger grave et persistant.

L’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours primer. Dans certaines situations de violences intrafamiliales, nous déplorons que l’enfant fasse l’objet d’un retrait abusif de son parent protecteur. Dans le cas évoqué ces derniers jours par la presse, nous estimons que la protection de l’enfant exigeait non pas nécessairement son retrait du domicile (s’il était avéré que sa mère était bien protectrice), mais la mise en détention préventive de l’abuseur avec lequel la victime a dû continuer à cohabiter. 

Les méthodes du SCAS en question

Il est pour nous incompréhensible que le juge ait estimé, sur la base du rapport du Service Central d’Assistance Sociale (SCAS), que les critères pour une détention provisoire n’étaient pas remplis, alors même que la littérature spécialisée reconnaît le risque élevé de récidive chez les auteurs de pédocriminalité. Cette décision témoigne d’une méconnaissance inquiétante de la réalité de ces infractions et d’un manque de prise en compte du danger réel pour les victimes.

En concluant à l’absence de danger immédiat pour l’enfant et en estimant qu’il n’y avait pas de risque concret, nous estimons que le SCAS a gravement failli à sa mission de protection. Cette évaluation a directement conduit le tribunal à lever l’interdiction de contact, exposant ainsi l’enfant à un risque inacceptable.

Nous demandons une évaluation du niveau d’expertise du SCAS en matière de protection de l’enfance et de pédocriminalité, mais aussi un éclairage sur ses méthodes, ses outils, ses critères d’évaluation et les possibilités de recours pour les personnes qu’il prend en charge.

Une banalisation de la consommation de CSAM

Lors de son intervention sur la radio 100,7, le procureur adjoint a reconnu l’absence de cyberpolice au Luxembourg, expliquant que les autorités dépendent des signalements d’organisations ou de l’étranger pour détecter les infractions liées au matériel d’abus sexuels d’enfants («Child Sexual Abuse Material», dit CSAM). 

Les propos de monsieur Lentz peuvent laisser entendre que les personnes qui consultent du CSAM ne représenteraient pas nécessairement un danger pour les enfants. Ce positionnement est extrêmement préoccupant : il va à l’encontre d’études et recommandations internationales en matière de protection de l’enfance, qui soulignent le lien entre la consommation de CSAM et le passage à l’acte, ainsi que le danger latent pour les enfants dans l’entourage de ces individus.

Qualifier le CSAM de « Knaschterei » (cochonneries), comme monsieur Lentz l’a fait sur 100,7, nous paraît inadmissible et indigne de sa fonction. Ce vocabulaire minimise la gravité des crimes commis contre les enfants et trahit un manque de compréhension des enjeux. Ce faisant, nous considérons que le procureur adjoint contribue à une culture de tolérance et d’impunité qui met en péril la sécurité des enfants. 

Nos revendications

Suite aux dysfonctionnements mis au jour autour de la gestion de ces actes pédocriminels, notre association appelle à :

  •  une réaction ferme des autorités et à une clarification immédiate de la part du Parquet pour rappeler que la protection des mineurs doit primer sur toute autre considération, et que la société ne peut tolérer aucun relativisme face à ces crimes ;
  • une réforme structurelle profonde, incluant une augmentation significative des moyens humains et financiers alloués à la justice, à la police et au SCAS, ainsi que la création de chambres spécialisées pour le traitement des affaires de pédocriminalité ;
  • un éclairage du public sur les méthodes, les outils, les critères d’évaluation des risques employés par le SCAS et notamment sur leur expertise en matière de protection de l’enfance et de pédocriminalité ;
  • la formation systématique et continue spécifiquement axée sur la pédocriminalité et la protection de l’enfance de tous les professionnels concernés – policiers, magistrats, travailleurs sociaux ;
  • la mise en place urgente d’une cyberpolice dédiée, dotée de ressources suffisantes et de compétences adaptées, afin de lutter efficacement contre la cyberpédocriminalité et de protéger les enfants face aux dangers en ligne.

Nous rappelons que la protection de l’enfance est non négociable. Face à la gravité des faits et à la carence des institutions dans la protection des mineurs, il est urgent que la société tout entière se mobilise et exige des réponses à la hauteur de l’enjeu : la sécurité et la dignité de chaque enfant et, in fine, de notre société !