La Voix des Survivant(e)s demande la fin de l’impunité  en matière de violences sexuelles et sexistes

Une délégation de l’association La Voix des Survivant(e)s (LVDS) a rencontré la ministre de la Justice, Elisabeth Margue, pour lui faire part de témoignages de graves dysfonctionnements qui sapent la confiance dans la Justice. 

De nombreuses victimes de violence sexuelle et sexiste ont le sentiment de ne pas être entendues ou prises au sérieux, mais aussi que la réponse judiciaire entraîne une victimisation secondaire qui vient s’ajouter aux violences déjà subies. 

Les frais d’avocat pour se défendre dans des procédures interminables atteignent des montants qui peuvent menacer d’effondrement économique des personnes ou familles monoparentales à revenu modéré. 

La réunion a aussi été l’occasion de présenter des propositions pour  y remédier, avec l’ambition d’une nouvelle loi organique de protection intégrale contre la violence de genre, les violences domestiques et les incidences sur les enfants, qui prendra en compte les recommandations du rapport GREVIO sur la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul.

Les personnes suivantes étaient présentes à la réunion qui s’est tenue le 29 mars (de gauche à droite sur la photo) : Dan Wiroth (expert), Marie-Laure Rolland et Elisabeth Capesius (membres du Conseil d’administration de LVDS), Marissa Daruwalla (membre de LVDS), Annette Michels (secrétaire du Conseil d’administration de LVDS), Ana Pinto (présidente de LVDS), Elisabeth Margue (ministre de la Justice), Delfina Mendes, Maria Surace et Stéphanie Makoumbou (membres de LVDS).

Voici les principaux points abordés avec la ministre : 

  1. Une réponse judiciaire insuffisante 

L’un des sujets de préoccupation de La Voix des Survivant(e)s est la chute drastique du taux d’expulsion des conjoints violents, qui est passé de 42% à 25% du nombre d’interventions de la police entre 2013 et 2022. Alors que chaque intervention de la police devrait entraîner un rapport au Parquet, environ un tiers n’est pas signalé à la Justice.

Lorsque des plaintes sont déposées, la réponse judiciaire est insuffisante : en 2022, une plainte sur trois a été classée sans suite

Les affaires instruites débouchent rarement sur un jugement. Pour donner un ordre de grandeur, 1082 nouvelles affaires de violence domestique ont été transmises aux tribunaux de Luxembourg et Diekirch mais seulement 109 jugements ont été prononcés en 2022 (cf Rapport d’activité des Juridictions judiciaires). 

Les autres formes de violence sexuelle ou sexiste ne font pas l’objet de statistiques spécifiques de telle sorte que la réponse judiciaire ne peut pas être évaluée. Le Statec a estimé que près de 30.000 femmes ont été victimes de viol ou tentatives de viol dans le pays. Peut-on garder les yeux fermés sur la réponse judiciaire apportée à ces crimes que nous jugeons d’ampleur systémique ? 

La loi et l’exécution des peines donnent aux victimes une impression d’impunité des agresseurs, entre le principe du sursis pour les primo-délinquants, les libérations conditionnelles ou anticipées, l’absence de surveillance des mesures d’éloignement, l’absence de sanction en cas de non présentation au service Riicht Eraus, etc.

Certains agresseurs utilisent la technique du harcèlement devant le Juge aux Affaires familiales pour écraser les droits des femmes et des enfants, en attaquant les ressources financières de celles-ci. Cela s’inscrit dans une stratégie globale de contrôle coercitif qui peut se poursuivre après la séparation. L’association estime qu’un parent violent ne devrait pas se voir accorder le droit de garde de ses enfants lors des séparations, comme le préconise le comité GREVIO qui veille à l’application de la Convention d’Istanbul.

L’association dénonce le fait que certains juges confondent les « conflits parentaux » et les « violences conjugales » et demandent la mise en place de médiations entre une victime et son agresseur. 

La violence psychologique n’est pas reconnue dans la loi et n’est donc pas réprimée, cela contrairement aux dispositions de la Convention d’Istanbul. La violence psychologique est pourtant l’iceberg dont la violence physique n’est bien souvent que la pointe. On sous-estime ses répercussions à long terme sur les victimes au niveau des syndromes post-traumatiques, et donc son coût tant pour les victimes que pour la société. 


2. Les dysfonctionnements des services sociaux de la Justice –  SCAS et Treffpunkt 

De nombreux témoignages font état de rapports du SCAS, du Treffpunkt et de certains soi-disant experts pédopsychiatres, préjudiciables aux droits des mères et des enfants puisqu’ils peuvent conduire à la perte de résidence des enfants chez les mères, mais pas chez les pères. 

Des magistrats ou personnels des services sociaux continuent à utiliser l’argument fallacieux de «l’aliénation parentale » à l’encontre de mères victimes de violences domestiques, alors que ce concept a été rejeté par la communauté médicale et n’a donc jamais été référencé dans le DSM (Manuel de diagnostic en psychiatrie). 

L’association a également attiré l’attention de la ministre sur des graves dysfonctionnements qui nous ont été rapportés dans le cadre de placements d’enfants.

L’association demande que les procès-verbaux des entretiens réalisés par le SCAS ou le Treffpunkt et qui sont transmis aux autorités judiciaires, soient relus et approuvés par une signature des personnes entendues, comme cela se pratique pour les procès-verbaux de la police.


3. Les mesures préconisées

Une liste d’une quarantaine de mesures élaborée par le comité Justice de l’association La Voix des Survivant(e)s a été transmise à la ministre à l’issue de la réunion. 
Cela concerne :

  • le renforcement des outils à la disposition de la Justice (et en particulier la création d’une Chambre spécialisée en matière de violences domestiques au sein des tribunaux) ;
  • la formation du personnel judiciaire (notamment sur la problématique du contrôle coercitif dans les violences intrafamiliales) ;
  •  des dispositions pour une réelle application des lois déjà en vigueur (notamment sanctionner les agresseurs qui ne vont pas au service Riicht Eraus et veiller à l’application des peines) ; 
  • des réformes législatives ou réglementaires (notamment la pénalisation des violences psychologiques, l’introduction de la notion de féminicide dans la législation et le code pénal, la possibilité de faire des « mains courantes » à la police pour signaler des violences avant d’être en mesure de porter plainte) ;
  • l’amélioration de l’assistance aux victimes (notamment mettre en place une hotline 24h/24 et 7 jours/7 ainsi qu’un Barnahuis)



La ministre de la Justice à notre écoute

A l’issue de la rencontre, le ministère de la Justice a diffusé le communiqué suivant :

« Nous partageons ce même objectif de lutter efficacement contre toute forme de violence qu’elle soit de nature sexuelle, physique, psychique ou autre. Être à l’écoute des revendications des personnes affectées et de leurs témoignages courageux, nous permet de créer un dispositif plus efficace et plus juste en vue d’une meilleure protection et aide aux victimes, » a insisté la ministre de la Justice Elisabeth Margue après un échange avec une délégation de l’association La Voix des Survivant(e)s Asbl – Stëmm vun den Iwwerliewenden sur les faiblesses constatées dans la mise en pratique de la législation et des dispositifs d’aide aux victimes, notamment en matière de violences sexuelles et domestiques. Dans ce contexte, Elisabeth Margue a réitéré la volonté du Gouvernement de créer un centre national d’accueil pour victimes de violences sexuelles et de retravailler plusieurs dispositions légales. »