Prise de position – Comment les bourreaux deviennent les victimes

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L’association La Voix des Survivant(e)s a lu avec stupéfaction et consternation l’article «Das Selbstbild eines Sexualstraftäters» paru dans le Luxemburger Wort du 23 mai 2025. Si nous tenons à réagir, c’est au nom de toutes les victimes passées et à venir de pédocriminels dont les vies auront été sacrifiées par des personnes telles que cet individu, qui vient d’être condamné en première instance à 13 ans de prison dont huit avec sursis.

A cet égard, notre association tient à rappeler son opposition aux sursis sur les peines relatives aux crimes sexuels, a fortiori contre des mineurs. De même, nous déplorons qu’une personne poursuivie pour des faits d’une telle gravité ne soit pas incarcérée de manière préventive, situation qui aurait évité qu’elle puisse continuer à entretenir des liens avec des personnes mineures avant le procès, mais aussi qu’elle participe à la publication d’un tel article.

De notre point de vue, offrir à cet individu une tribune qui lui permet de se présenter comme victime,  sans le mettre face aux contradictions de son discours, ajoute de l’indécence au crime.

Renversement de victimisation

Dans cet article, l’auteur des faits renverse totalement la situation:  le problème pour lui ne semblent pas être les faits puisqu’il n’a pas un mot pour la souffrance des victimes, parmi lesquelles sa propre fille et deux amies de celle-ci ; son problème est le lynchage médiatique dont il fait l’objet, suite à un communiqué de la Theater Federatioun qui a eu le courage de prendre position à ce sujet. Il souligne d’ailleurs: « Bei 99 Prozent der Fälle weiss niemand etwas von dem, was vorgefallen ist. (…) Ich habe Freiwilligenarbeit geleistet und werde jetzt dafür bestraft”.

Le prévenu oublie pourtant de mentionner que les associations dont il était membre du Conseil d’administration sont conventionnées par le ministère de la Culture. Elles signent une Charte de déontologie dont dépendent leurs financements. Cette Charte « vise à défendre les valeurs d’éthique et de professionnalisme qui sous-tendent la relation de confiance entre les structures culturelles, les artistes et les citoyen/nes ». En ce sens, il a failli à ses devoirs et responsabilités en n’informant pas les associations dont il était administrateur des poursuites judiciaires dont il faisait l’objet.

Un autre élément problématique que nous souhaitons souligner est la manière dont il se dit victime du manque de compassion de la part de l’opinion publique par rapport à sa « maladie ». « Es ist äusserst brutal, wie mit mir umgegangen wird. Besonders, wenn man bedenkt, dass Pädophilie eine Krankheit ist”. Lui-même n’a pourtant commencé à traiter cette « maladie » qu’en 2019, soit après que les faits aient été mis en lumière par Interpol.  Une victimisation de l’auteur des faits particulièrement perverse.

A cet égard, le documentaire visible actuellement sur Netflix, « Bernard Cantat – De rockstar à tueur », explique bien la stratégie de retournement du criminel en victime. La complaisance de certains médias et d’une partie de l’opinion publique pour ce «crime passionnel» a masqué pendant des années le «féminicide» de Marie Trintignant. L’artiste a pu retrouver la scène et ses fans après une réduction de peine, puis recommencer à exercer son contrôle coercitif sur une autre femme, qui en est morte.

Anonymat vs intérêt public

Finalement, cet article questionne l’anonymat des personnes condamnées pour crimes sexuels et sexistes. Alors même que son nom n’est pas cité, l’auteur des faits pédocriminels déplore que sa réputation est salie. De fait, il est illusoire de penser qu’au Luxembourg ce genre d’information reste anonyme. Mais au-delà des petits cercles culturels, le grand public ne sait pas de qui il s’agit. Dès lors, nous estimons que, sous réserve de l’accord des victimes, le nom des prévenus devrait être communiqué publiquement. Cela peut avoir comme impact d’encourager d’autres potentielles victimes à se manifester et faciliter l’application des mesures préventives après l’exécution de la peine.

Au Luxembourg, il n’y aurait pas eu d’affaire Dutroux, Weinstein ou Pélicot, mais des affaires D, W ou P. C’est pourtant la personnalisation de ces affaires qui a permis d’en prendre la mesure, de commencer à s’interroger sur les mécanismes structurels de cette violence de genre, et finalement de commencer à s’y opposer.

Impunité vs éthique

Nous voulons rappeler que ce combat engage toute la société. Il passe en premier lieu par notre capacité à briser, tous ensemble, le silence et l’indifférence, voire le mépris, qui écrasent les victimes.

Un autre exemple récent l’illustre tristement. Gerson Rodrigues va pouvoir tranquillement poursuivre sa carrière de footballeur, alors qu’il a été reconnu coupable en deuxième instance fin avril de violences conjugales et de coups et blessures, et condamné à 18 mois de prison avec sursis. Le sélectionneur national, Luc Holtz, vient d’annoncer que celui-ci irait en Slovénie et Irlande. La Fédération nationale du foot, conventionnée par le ministère des Sports, n’a-t-elle pas de principes éthiques auxquels sont tenus ses salariés ?

La Voix des Survivant(e)s Asbl