Entrevue avec le ministre Léon Gloden sur des dysfonctionnements de la police

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Une délégation de l’association La Voix des Survivant(e)s a rencontré Léon Gloden, ministre des Affaires intérieures et Kristin Schmit, Secrétaire générale de la direction générale de la police.

Le but de notre demande d’entretien était double :

  • Témoigner des dysfonctionnements concernant le dispositif policier rapportés à notre association par des victimes de violences intrafamiliales, sexuelles ou sexistes.
  • Contribuer par nos propositions à rendre ce dispositif policier plus rapide, efficace, proche et exigeant afin de mieux protéger les victimes et de permettre un meilleur traitement judiciaire.

Nous avons rappelé au ministre le caractère systémique de ces violences : 20% des femmes de 16-74 ans au Luxembourg déclarent avoir été victimes de violences physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques au cours des 12 derniers mois (étude du Statec Regard n°5, juillet 2022).

La violence a un coût humain mais aussi financier. La Banque mondiale a estimé que le coût de la seule violence intrafamiliale se situait entre 1,2% et 3,7% du PIB selon les pays.

Le manque de moyens dédiés par la police à ces violences se répercute directement sur leur traitement judiciaire.


1. Les résultats de notre campagne d’appel à témoignages

Une liste de témoignages recueillis suite à notre appel a été présentée au ministre. Elle met en évidence certains dysfonctionnements constatés et les points qui devraient être améliorés :

La police doit comprendre que lorsqu’elle est appelée, la victime a probablement déjà enduré des violences antérieures et répétées pendant de nombreuses années. Les risques doivent être évalués en conséquence. Pour cela, la police devrait parler à la victime dans une pièce séparée du conjoint violent.

Le mécanisme d’auto-défense, connu comme “flight, fright, fight”, devrait être mieux pris en compte. Certaines femmes ont le réflexe de se défendre ou de protéger les enfants quand ceux-ci sont agressés.

Quand il y a des enfants et qu’ils ont été exposés et / ou témoins d’importants abus et violences, il est important de ne pas les soumettre à d’éventuels autres traumatismes.

Souvent la police remet en question la crédibilité des victimes lorsqu’elles retournent chez l’abuseur ou retirent la plainte. Or du fait de leur situation économique, elles n’ont souvent pas d’autres options que de rester.

Beaucoup de victimes ne reçoivent pas de rapport d’intervention ou même pas de numéro de rapport suite à l’intervention de la police.

2. Constat général : une chute drastique du taux d’expulsions 

L’association souhaite comprendre les raisons de la chute drastique du taux d’expulsions en neuf ans. En 2022 : le nombre d’interventions policières était de 983, dont 246 ont donné lieu à une expulsion (25%). Neuf ans plus tôt, en 2013, on comptait  844 interventions et 357 expulsions (42%).

Pourtant, d’après la loi de 2003 : c’est l’agresseur qui doit partir, pas la victime.

La décision d’expulser, prise par le Parquet, dépend de la manière dont est fait le rapport de la police. Or les témoignages indiquent que les situations ne sont pas toujours bien évaluées.

3. Nos revendications – propositions

A. Formation de la police

  • Former des policiers spécialisés sur les violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes et réunir ces policiers au sein d’une Cellule spécialisée.
  • Associer d’anciennes victimes à la formation des policiers.
  • Formation spécifique sur le contrôle coercitif (avec une grille de questions pour l’identifier).
  • Faire de la formation continue – pour prendre en compte l’évolution des connaissances et des attentes sociétales – et une évaluation régulière de la formation.

B. Suivi de la qualité des interventions

  • Nous souhaitons que les policiers aient à disposition un questionnaire standardisé pour identifier les situations de violence intrafamiliale et de contrôle coercitif sur le modèle du Canada, de la France, Ecosse, GB, Espagne etc.
  • Lors des interventions, le policier devrait être accompagné par une assistante sociale spécialisée sur les violences intrafamiliales.
  • Il faut mieux informer les victimes sur le droit d’être assisté par une ou par un avocat, car beaucoup de victimes ignorent ce que signifie de franchir la porte d’un commissariat.
  • Les officiers de police doivent conseiller à la victime qui ne veut pas déposer de plainte tout de suite d’aller à Umedo pour documenter les preuves physiques de l’agression.
  • Envoi aux victimes d’un formulaire de satisfaction après l’intervention de la police pour vérifier que tout s’est passé selon la réglementation et les bonnes pratiques.
  • Sanctionner les forces de police qui ne respectent pas la loi ou les procédures.
  • Comparer l’efficacité de la plate-forme luxembourgeoise Dyrias par rapport à l’outil espagnol VioGén, pour centraliser les informations entre les différents acteurs mobilisés (police, justice, services sociaux), afin de mieux évaluer le niveau de risque.
  • Le Comité de coopération Violence devrait être élargi à des survivant.e.s, afin d’avoir leur point de vue, conformément aux recommandations du rapport GREVIO de mise en œuvre de la Convention d’Istanbul.

C. Mise en place de nouveaux instruments de protection

  • Possibilité de faire une main courante (signalement) au commissariat sans devoir porter plainte immédiatement (comme en France).
  • Téléphone Grave Danger.
  • Mise en place du bracelet électronique.
  • Améliorer et promouvoir l’utilisation de l’application BrightSkyLux.

D. Mesures spécifiques concernant la Communauté afro-descendante

D’après une étude publiée en 2022 par le MIFA, Liser et CEFIS : “90% des victimes de racisme ne portent pas plainte. 60% pensent que cela ne sert à rien.” Il est important que la police développe une relation de confiance avec la communauté afro-descendante et lutte contre le racisme et le sexisme qu’elle peut faire subir aux femmes afro-descendantes ( cf rapport ASTI).

–  Lorsque la police intervient, ne pas utiliser la (belle) famille de la victime pour traduire mais des traducteurs indépendants.

–  Les questions d’évaluation des risques doivent refléter l’environnement culturel afin de mieux comprendre le danger auquel elles sont confrontées. 


E. Suivi des mesures gouvernementales

Nous avons demandé où en était la mise en place d’une cellule psychologique spécialisée dans le domaine de la violence domestique.

Il nous a été indiqué que trois personnes y sont en fonction depuis le début de l’année.

Nous avons demandé quel était le montant du budget de l’État dédié à la lutte et la prévention ces violences intrafamiliales, sexuelles ou sexistes. Il nous a été répondu que cette question ne concerne pas le seul ministère des Affaires intérieures.


Les engagements du ministre des Affaires Intérieures

A l’issue de la réunion, monsieur Léon Gloden s’est uniquement engagé sur deux points :

  • évaluer si la formation de la police est suffisante.
  • Travailler à une meilleure protection des réfugiées victimes de violence domestique, menacées de perdre leur droit de séjour en cas de séparation.